Cet article est le premier d’une série d’articles issus de notre pratique de l’accompagnement de chercheurs et chercheuses en management dans la communication de leurs travaux. Dans chaque article : un écueil à éviter… et une bonne idée !
En sciences « dures » comme en sciences humaines et sociales (SHS), l’heure est à la « valorisation ». L’objectif ? Promouvoir (encore) mieux les résultats de recherche et les expertises des chercheurs, au bénéfice de toutes les composantes de la société (citoyens, entreprises, associations, acteurs publics, etc.). Rien de totalement nouveau puisque pour les sciences dures les SATT par exemple font ce travail depuis longtemps. Ce qui est en revanche plus nouveau c’est la demande de valorisation dans les médias, ou via eux. Les initiatives et sollicitations se multiplient et les scientifiques qui se lancent dans des efforts de communication de leurs travaux sont de plus en plus nombreux. Que vous soyez communicant·e, journaliste ou scientifique, si vous sentez que vous ne pourrez plus résister encore très longtemps aux injonctions de plus en plus pressantes à « valoriser », voici quelques erreurs à éviter (liste non exhaustive) et recommandations utiles pour être performant rapidement et vous lancer avec plaisir.
Il faut faire attention à ce que nous, (ami·es des) chercheurs, avons tendance à considérer comme la seule forme d’excellence
Ecueil #1 : Vouloir montrer qu’on est « intelligent·e »
Une des croyances fondamentales du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) est que l’excellence passe nécessairement par un niveau d’intelligence logico-mathématique ou verbo-linguistique élevé. Difficile en effet d’être considéré comme un bon chercheur ou un leader respecté dans le secteur de l’ESR si l’on n’a pas préalablement fait la preuve de brillance sous l’une de ces formes. C’est pour cela qu’un·e lauréat·e de prix Nobel, d’une Médaille Fields ou CNRS aura naturellement la reconnaissance de ses confrères et consœurs, alors qu’un dirigeant d’une institution de l’ESR non chercheur sera invariablement challengé, contesté, à moins qu’il ou elle ne témoigne d’autres qualités exceptionnelles au service des chercheurs.
En décidant de faire partie de ce mouvement de communication, il est donc utile de se rappeler que les croyances et valeurs des chercheurs ne sont pas universellement partagées. Pour vos/nos audiences, les croyances peuvent être très différentes, tout simplement parce que leurs valeurs, leurs objectifs et leurs contraintes ne sont pas les mêmes.
En entreprise les preuves « d’intelligence » ou « d’excellence » sont apportées autrement : par sa capacité à avoir conquis des marchés ou gagné de l’argent, à proposer et implémenter une vision, mais aussi par ses soft skills (capacité à fédérer une équipe, à manager, à être empathique, etc.). Dans celui des associations ou de l’économie sociale et solidaire c’est plutôt la capacité à apporter une contribution positive (sociétale, environnementale, culturelle) qui est valorisée. Dans le monde des arts enfin, l’excellence pourra davantage être incarnée par la notion de créativité.
La notion d’intelligence est en fait très subjective. Il faut donc faire attention à ce que nous, (ami·es des) chercheurs, avons tendance à considérer comme la seule forme d’excellence.
En pratique : lorsque vous vous lancez dans un travail de valorisation de vos travaux, vous avez déjà décidé que vous vouliez toucher d’autres personnes que vos collègues chercheurs et chercheuses. Vous n’avez donc absolument pas besoin de faire la démonstration de votre intelligence logico-mathématique ou verbo-linguistique puisque ce nouveau public postule déjà, à raison, que vous la possédez. Par contre il peut douter de votre capacité à sortir de votre bulle conceptuelle.
Chercheurs, chercheuses, détachez-vous de l’opinion de vos collègues sur votre initiative de valorisation ou sur la qualité de votre communication. A moins qu’eux-mêmes soient déjà expérimentés et compétents sur ce sujet, leur avis éclairé ne vaut pas plus que celui votre ami entrepreneur, de votre cousin agent immobilier ou ingénieur, ou bien de votre banquière ! C’est même exactement l’inverse car c’est justement pour eux que vous effectuez ce travail de traduction et de prise de recul sur votre travail et votre carrière.
Mettez-vous dans la peau des destinataires de votre message, ce sera la meilleure façon de créer du lien avec des acteurs qui sauront trouver à votre expertise une utilité que vous-même ne percevez pas (ou pas encore).
Vouloir SINCÈREMENT apporter à votre audience une information qui a de la valeur POUR ELLE, dans un format et un langage accessible pour elle, cela se ressent.
Bonne idée #1 : Montrez de la considération pour votre audience
Soyons honnêtes le travail nécessaire pour produire son premier article de “vulgarisation”, sa première interview vidéo ou son premier podcast nécessite un vrai investissement en temps, au-delà du travail sur soi nécessaire avant de se lancer. Il n’est pas rare de devoir compter 2 voire 3 (petites) journées de travail pour un premier article publié sur The Conversation par exemple, ou de devoir peaufiner son texte et le répéter pendant plusieurs heures avant d’enregistrer sa toute première émission FNEGE Médias ou Xerfi Canal (pour les chercheurs en gestion). Ce travail n’est en général pas reconnu par votre employeur dans le plan d’activité des (enseignants-) chercheurs et est même parfois perçu comme anecdotique par rapport aux “vraies” activités qui font le cœur du métier. C’est selon nous une double erreur.
La première, celle des chercheurs, est de considérer que la science à de la valeur en soi, même si elle n’est pas diffusée : cela reviendrait alors à considérer qu’un vaccin contre un virus a de la valeur même si la formule de ce vaccin ne sort pas de l’ordinateur de son inventeur, même si les malades et soignants ne savent même pas qu’il existe ! La seconde erreur, celle des accompagnants à la valorisation médiatique, est de ne pas comprendre que quand une personne a le niveau d’exigence qui l’a amené jusqu’à soutenir une thèse, elle ne se lance pas « juste comme ça, rapidement, ça ne te prendra qu’une heure » !
L’exercice de valorisation nécessite du temps, une prise de recul sur son métier, un « changement de logiciel » et même inévitablement une phase de doute au moment où l’on réalise que l’exercice nous expose à la critique d’un nouveau public (dont font même partie ses proches !).
Dans les open space de centre d’appels, les bons managers le répètent sans cesse « il faut sourire au téléphone ». A priori idiot et pourtant nous en avons tous fait l’expérience : quand votre interlocuteur a le sourire, vous le sentez. Et vous n’échangez pas avec lui ou elle de la même manière que si vous sentez qu’il est blasé, qu’il n’a aucune intention de vous apporter un VRAI service, ou qu’elle a les yeux rivés sur l’horloge en attendant 17h.
Vouloir SINCÈREMENT apporter à votre audience une information qui a de la valeur POUR ELLE, donc dans un format et un langage accessible POUR ELLE, cela se ressent. De la même manière, si vous ne produisez ce contenu que parce que vous y êtes très fortement incité·e par votre université, mais sans plaisir et sans conviction, cela se ressentira aussi.
L’article que vous publierez et l’interview que vous mènerez seront d’autant plus appréciés, partagés, et bénéfiques que le ressenti du lecteur sera positif sur votre état d’esprit et les motivations qui vous ont poussé·e à consacrer du temps pour (co-)produire ce contenu.
Cet article est le premier d’une série de réflexions et d’enseignements issus de la pratique de l’accompagnement de chercheurs et chercheuses dans la communication de leurs travaux. Suivez-nous sur Twitter @AcadExperts_org pour voir passer le prochain !