
« Si t’as un papier à fêter » est une série de podcasts qui valorise les travaux de recherche des chercheurs et des chercheuses en sciences de gestion
Alice Audrezet, professeure à l’ISG International Business School et fondatrice de la série de podcast « Si t’as un papier à fêter », et Caroline Diard, professeure à l’ESC Amiens, expliquent en quoi le podcast est un format adapté pour raconter la recherche de façon accessible. Retour sur nos entretiens dans ce dossier en deux parties. Vous pouvez retrouver le podcast d’Alice Audrezet sur le papier de Caroline Diard en cliquant ici.
C’est utile de donner le off des choses, ça aide beaucoup.
Partie I : Innover la manière de raconter la recherche
Pourquoi avoir créé le podcast « Si t’as un papier à fêter » ?
Alice Audrezet : Mon idée c’était d’essayer de faire sortir la recherche des articles académiques parce que c’est un format qui est un peu difficile d’accès et qui n’est lu que par les quelques chercheurs (f/h) qui travaillent précisément sur ce sujet. Mon envie c’était de diffuser la recherche et de la sortir du format écrit. D’une part, pour d’autres chercheurs (f/h) qui peuvent être dans des disciplines connexes qui ne vont pas forcément faire l’effort ou avoir le temps de lire un article de recherche, parce que c’est fastidieux. Puis au-delà de ça, c’est sortir de l’univers de la recherche pour s’adresser à l’extérieur. De manière générale, le profil-type de l’auditeur (f/h) de podcast c’est quelqu’un qui correspond à la cible de personne susceptible de s’intéresser à des contenus de la diffusion de la recherche. Aujourd’hui c’est le média dont la cible a le niveau d’étude le plus élevé. Globalement ce sont des cadres, des consultants (f/h), des chercheurs (f/h)… Ce sont des gens qui n’ont pas forcément le temps mais qui ont envie d’avoir accès à des contenus très exigeants. Ils cherchent à s’ouvrir l’esprit à des moments où ils ont les mains prises (dans les transports, en faisant du sport ou des tâches domestiques…).
Qu’est-ce qu’apporte le podcast de plus par rapport à l’article de presse ?
Alice Audrezet : Le podcast est vraiment le média de l’intime. L’idée d’adopter un récit à la première personne pour rendre plus accessible des contenus exigeants, comme du documentaire sonore par exemple, c’est vraiment l’une des marques de fabrique du podcast, et c’est encore plus criant dans le podcast natif aujourd’hui. Partant de ce constat, mon idée c’est de donner accès au off de la recherche, autrement dit à « l’intime » de la recherche. Mon objectif avec ce podcast, c’est que les personnes interviewées racontent à la première personne la manière dont elles font la recherche comme on raconterait une histoire. J’aimerais que le format audio et la voix viennent incarner la recherche. Il me semble que ce format répond à la fois aux besoins des chercheurs pour leur travail, ainsi qu’aux attentes de plein d’autres gens. Donc le format du podcast me semble utile parce qu’on peut raconter un contenu de façon plus intime et aussi parce que par moment on n’a pas envie de lire et on a besoin de s’éloigner des écrans.
Quels sont vos conseils pour des chercheurs qui souhaitent présenter leurs recherches en format audio ?
Alice Audrezet : Il faut être capable de parler de sa recherche de manière synthétique et savoir raconter une histoire. Là je ne parle pas du storytelling qu’on met en place dans l’écriture de l’article, je parle du fait d’être capable de raconter comment se fait la recherche : quelle était l’intention initiale, pourquoi et comment ça a évolué, comment on collecte les données lorsqu’on se confronte au terrain, quelles ont été les éventuelles difficultés, comment s’est passé le processus de publication, etc. C’est utile de donner le off des choses, ça aide beaucoup. Il y a une attente de la part des chercheurs (f/h) car on a tous besoin de se rassurer, de savoir comment les autres font. Je pense que c’est également bénéfique au rayonnement de notre métier qui est parfois mal perçu. Certaines personnes semblent penser que les chercheurs (f/h) ne font rien. Raconter comment on fait de la recherche, ça peut contribuer à améliorer l’image des chercheurs (f/h) à faire comprendre qu’on travaille vraiment et pourquoi on met du temps à publier des articles.
C’est ça que nous avons voulu montrer avec Alice, c’est que le travail de chercheur n’est pas un long fleuve tranquille.
Partie II : Donner de la voix aux chercheurs
Pourriez-vous en quelques mots nous parler du travail de recherche que vous avez partagé dans le podcast avec Alice Audrezet ?
Caroline Diard : J’ai partagé un papier qui a trait au télétravail et aux accords d’entreprise dans le domaine d’activité des banques. C’est un papier que j’ai coécrit avec Nicolas Dufour qui est professeur affilié à Paris School of Business et c’est un papier qui nous a pris du temps car il a fallu accéder au terrain et ce n’était pas facile. On a fait toute une partie de recherche empirique sur le codage du contenu des accords. Donc là c’était vraiment du travail de bibliothèque. Ensuite on a fait un travail de terrain avec des entretiens qualitatifs avec des responsables RH et des télétravailleurs. On a fait un retour terrain à la demande de la revue qui nous a demandé de compléter. Donc ça a été des rebondissements et surtout le gros rebondissement c’est qu’on a été confinés. C’était un vrai parcours du combattant ! J’ai bien aimé parler de cet article parce que c’est une vraie illustration du travail de chercheur c’est-à-dire que l’on rencontre des échecs, des déceptions. Parfois il faut retourner sur le terrain, il faut peaufiner. C’est ça que nous avons voulu montrer avec Alice, c’est que le travail de chercheur n’est pas un long fleuve tranquille. On ne se met pas dans une bibliothèque, on fait une étude théorique, on va sur le terrain et puis on publie. Ça ne se passe pas comme ça.
Pourquoi avoir accepté l’invitation à faire un podcast ?
Caroline Diard : J’ai trouvé que c’était dans la droite ligne de ce que je fais depuis quelques années, c’est-à-dire vulgariser mes travaux de recherche, montrer ce qu’est le travail d’un enseignant-chercheur et réconcilier le monde académique et le monde des praticiens. J’ai un profil assez atypique. J’ai été DRH, j’ai fait du conseil en RH. A 40 ans j’ai décidé de faire une thèse donc on peut dire que pour moi la recherche est une seconde partie de carrière. Quand j’ai commencé dans la recherche, j’avais l’impression que j’avais vécu dans deux mondes différents, que les deux mondes ne se parlaient pas, ne communiquaient pas et n’interagissaient pas. Je me suis dit que c’était dommage parce que ce que j’ai fait avant en tant que praticienne peut être utile à des étudiants. Ça m’est utile dans mes recherches. Je pense qu’il faut réconcilier les deux et la vulgarisation est un moyen de rapprocher les deux mondes.
Comment vous-êtes vous préparé à ce podcast ?
Caroline Diard : Alors pour le podcast on en a discuté avec Alice. Je savais comment on allait aborder les choses et les questions. J’ai refait mentalement tout le chemin de la recherche que j’avais effectué pour le papier que j’avais évoqué précédemment. Je suis arrivée avec mon article et je me suis dit : « Comment j’ai eu l’idée au départ ? », « Quelle a été la première étape ? », « Au début j’étais toute seule, ensuite j’ai eu un co-auteur », « On a eu un petit terrain, ensuite on a élargi le terrain parce qu’on a utilisé nos contacts, on a eu un effet boule de neige »… Je me suis refait toute l’histoire.
Qu’est-ce que vous vouliez apporter de plus qu’un article de presse en adoptant le podcast ?
Caroline Diard : Je voulais vraiment montrer que la recherche n’est pas quelques chose d’obscure, que ça peut faire l’objet d’un podcast donc de quelques chose de nouveau et d’original, de digital. Je voulais montrer que la recherche ce n’est pas un chercheur chauve à lunettes, au fond d’une bibliothèque toute sombre. Qu’un chercheur c’est quelqu’un qui va sur le terrain, c’est quelqu’un qui se pose des questions, qui prend compte de l’actualité, qui se met à jour, qui va chercher des co-auteurs, qui participe à des conférences… Qui échoue parfois parce qu’on envoie à des revues et puis on a des avis négatifs, on rebondit, on se remet en selle. Je voulais montrer que la recherche est vivante et dynamique et que ça peut intéresser tout le monde même si on n’a pas envie de faire de la recherche, mais qu’on a envie de comprendre un sujet.
Est-ce que vous avez des conseils à donner à des personnes qui veulent se lancer dans la valorisation quel que soit le format ?
Caroline Diard : Je pense que le bon moyen de communiquer sur ses travaux, c’est via LinkedIn. Je vois de plus en plus de chercheurs qui le font, c’est-à-dire que quand il y a un article publié, on communique dessus. Alors c’est bien mais en réalité c’est du matériau brut c’est-à-dire qu’il faut ouvrir l’article, le lire… Alors ce n’est pas vraiment de la vulgarisation mais c’est une première démarche. On va vers le public-cible : les étudiants et le grand-public. Après si on veut faire de la vulgarisation, il faut un bon esprit de synthèse et bien savoir à qui on s’adresse : Qui est le public ? Est-ce que j’écris pour mes étudiants ? Est-ce que j’écris pour le grand-public ? Il faut avoir cette notion de « je suis, en plus, d’un chercheur, un praticien ».
Propos recueillis par Acad·Experts